Lueur

8 avril 2012.

Mon repos a été de courte durée. Les portes de la Cathédrale ont ouvert dès 6 heures du matin, sans doute pour que les gens puissent entrer avant les premières lueurs de l’aube.

Beaucoup moins de monde que la veille ; la plupart sont des personnes isolées venues avec un sac contenant des provisions pour la journée.

Le système d’écran, baffles et projecteur mis en place pour Pâques a été détourné pour diffuser les communications émanant de l’Élysée (il n’y a plus aucune autre source d’informations à distance).

Est-ce la particularité du lieu ou la progression rive droite s’avère-t-elle moins avancée que rive gauche, toujours est-il que la couche de Matériau demeure indécelable sur les fils et le reste du matériel électrique.

Midi : un grésillement se fait entendre et l’écran affiche à nouveau l’image du président. Le Van lové dans ses bras est moins gros que celui de la veille et fixe la caméra de ses yeux vairons. Il invite la population au civisme sur fond de scènes d’émeutes et rappelle qu’il ne faut pas s’exposer à la lumière directe du soleil. Des distributions de produits de première nécessité vont être organisées chaque nuit. L’armée a été réquisitionnée et coordonnera l’accès aux Tubes. Il est désormais formellement interdit de quitter son lieu de résidence. Seules les personnes occupant actuellement un autre lieu seront autorisées à se déplacer ; à cette fin, les transports routiers et ferroviaires fonctionneront jusqu’à l’aube sous contrôle des forces de l’Ordre. En cas de difficulté, les personnes devront se rendre au poste de Police le plus proche où elles seront intégralement prises en charge. Des rondes dédiées et régulières faciliteront le processus.
La communication s’achève par un gros plan sur le Van.

Un murmure parcourt la maigre assemblée. On ne se connaît pas mais on échange sur la particularité de la situation. Personne ne comprend. C’est tellement soudain et absurde.

Ça commence à sentir l’urine dans les coins.

Soir : le reste de la journée s’est avéré pauvre en événements. Fait quelques tours de nefs + une bonne série de pompes et squats.Travaillé sur le livre. Repris mes notes. Tenté de repérer les détails qui auraient dû me convaincre de l’imminence du danger. Je pensais avoir a minima quelques mois de plus pour me préparer. Qu’Adrien serait à mes côtés. Contacter Paul ? Rien n’a été dit de la situation à l’étranger mais il est hautement improbable qu’ils n’aient visé que la France. Les Vans doivent actuellement ronronner sur les genoux de la plupart des dirigeants de la planète.

À 16h, réintégré ma cache. Continué à réfléchir et travailler puis sieste.

À 21 heures, bruit de bottes dans la Cathédrale. Sans doute quelques dernières personnes à « raccompagner » chez elles.

À 22 heures, plus un chat (très drôle). Décidé qu’il était trop risqué de tenter une sortie en extérieur, avec ces flics en patrouille un peu partout.

Relu et corrigé mes notes dans un coin de chapelle jusqu’à l’aube.

À l’ouverture des portes, plus personne. Le prêtre est resté un moment sur le seuil puis est retourné vaquer à ses occupations. Je l’ai observé de loin, dissimulé derrière une colonne.

Dormi le reste de la journée.

9-10 avril.

Il faut que je tienne le compte des jours.

Le prêtre n’allume plus le projecteur qu’à midi. Communications répétitives. Ne pas bouger de chez soi tant qu’on n’est pas convoqué. Rester calme et à l’abri de la lumière du jour. Trains affrétés de nuit pour les retardataires. Les Tubes commencent à « arriver » un peu partout. Je suppose que le Matériau gonfle à partir de certains câbles. Scènes de personnes pénétrant sagement dans un Tube. Elles ont l’air shootées. Probablement le Matériau également. J’ai bien fait de rester à distance.

Travaillé au livre toute la nuit.

15 avril.

Une semaine a passé sans événement vraiment digne d’être noté. Je coche les jours sur un carnet. Fais du sport la nuit pour éviter de tomber sur le prêtre. Contrairement à moi, il a conservé son rythme diurne. Pour combien de temps ?

Mon livre avance bien. Je n’ai jamais eu autant de temps pour écrire.

16 avril.

Risqué pour la première fois une sortie cette nuit. Escaladé prestement l’édifice par la voie la plus à l’abri des regards. Failli tout de même me faire prendre. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde dehors.

Il y a désormais une bonne dizaine de Tubes qui se rejoignent en parallèles parfaites devant la Cathédrale. Les flics alignent les gens en file indienne sur la place ; personne ne moufte. Lorsque son tour arrive, la personne s’allonge, le Tube se referme, la propulse on ne sait où, puis se rouvre pour accueillir la personne suivante. J’ai observé ce manège pendant un long moment. Les enfants passent juste avant leurs parents. Les bébés passent avec leur mère. Les gens sont paisibles. Trop paisibles.

20 avril.

Je monte désormais chaque soir.

Une lueur qui ne correspond à rien de logique est apparue à l’ouest et gagne en intensité au fil des nuits.